
Anatomie poétique
Avec Les Cavales, 2, Hervé Micolet poursuit une traversée poétique entamée dans un premier volume déjà remarqué. Mais il ne s’agit pas ici d’une suite ou d’un prolongement linéaire : ce second livre trace plutôt une spirale, une cartographie intime de l’errance, du souvenir et de la langue. Tout se joue dans les décalages, les retours, les résonances. La cavale n’est ni fuite ni conquête : elle est fêlure. Fêlure entre l’élan et la perte, entre l’éclat du présent et l’ombre persistante de ce qui fut.
Le recueil, découpé en cinq mouvements avance comme une suite d’apparitions. Les figures féminines, les paysages traversés, les compagnonnages perdus ou retrouvés forment une série de seuils. Ces seuils ne donnent pas accès à une biographie, ils forment un tissu de souvenirs sans chronologie.
À travers les poèmes, une parole se construit dans l’intervalle : entre ce qui est dit et ce qui affleure, entre l’évocation et le silence.C’est une poésie sans emphase, sans lyrisme facile. La langue d’Hervé Micolet est une prose poétique dense, syncopée, volontairement fragmentaire, elle respire par brisures.
Les lieux sont plus que des décors, ils deviennent des terrains de mémoire, des paysages mentaux où se rejouent les gestes, les douleurs, les absences. Ils prolongent les figures féminines qui hantent les textes : femmes aimées, croisées, perdues, rêvées.
Il s’agit d’une sensualité blessée, marquée par la distance. Chaque rencontre porte une charge mélancolique, chaque évocation laisse un sillage de manque.
La mélancolie, omniprésente, n’est jamais complaisante. Elle est active. Hervé Micolet rejoint ici les Saturniens de Verlaine ou la gravure Melancholia I de Dürer. Il ne se réfugie pas dans la plainte : il transforme la mélancolie en force d’écriture. Elle irrigue les textes, les déplace, les pousse à reformuler.
Au moment du “midi de la vie”, celui où les lignes commencent à se recroiser, où les visages du passé se redessinent dans le présent. La cavale devient alors intérieure : une errance dans les souvenirs, les sensations, les absences persistantes.
C’est dans ce contexte que prend tout son sens la dernière partie du livre, intitulée Réfutation de Robert Burton. Le clin d’œil à l’auteur de The Anatomy of Melancholy (1621), (L’Anatomie de la mélancolie) n’est pas anodin. Le livre de Burton, immense et foisonnant, tentait de cerner méthodiquement les causes, les formes et les remèdes de la mélancolie. Hervé Micolet, lui, choisit une autre voie : celle d’une anatomie intuitive, poétique, fragmentaire. Il ne réfute pas Burton pour contester mais pour décrire une sensibilité vive, une mémoire sensible.
La mélancolie n’est plus l’effet d’une humeur noire, mais le retour du réel dans le creux des choses. Elle est excès de mémoire, persistance de l’oubli, présence d’un passé qui rouvre sans prévenir. La réfutation, ainsi, devient un geste poétique : non pour corriger, mais pour reformuler. Elle boucle le recueil tout en l’ouvrant vers une pensée sans méthode, mais portée par le rythme : « Celui des cavales qui nous emportent. »
Sur cela il n’y a lieu
que de se retourner,
de sorte que nous ayons
l’allure et la contenance
de quelqu’un qui s’éloigne,
la silhouette, oui,
désolée par avance,
d’un voyageur qui s’éloigne.
Les Cavales, 2 est un livre de poésie exigeant, mais profondément humain : une fugue intime, une cartographie tremblée, un chant obstiné à travers les fragments de soi.
En refermant ce recueil, on a l’impression d’avoir traversé un territoire : celui d’un homme, d’un style, et d’un monde tout en cavales.
Hervé Micolet, Les Cavales, 2 https://larumeurlibre
La rumeur libre éditions Collection Plupart du temps
Date de parution avril 2025, 240 pages, 20 euros.
© SOPHIE CARMONA