MISE À JOUR

À première vue, Mise à jour ressemble à un livre-concept. Une couverture verte mate, un titre sec comme une commande informatique : tout semble annoncer un manifeste. Une déclaration sur le monde d’aujourd’hui, ses travers, ses zones de silence, sa saturation technologique. Et c’en est un, oui. Mais c’est aussi, et surtout, un livre d’amour. Ou plutôt : un livre après l’amour.

Dans un format fragmentaire, presque aphoristique, Tristan Vodak tisse une trame faite de constats amers, de tentatives de détachement, de flashs de conscience lucide. Il parle de notre époque connectée, de nos illusions, du flux incessant d’informations qui anesthésie. Il parle aussi d’écrans, de mise à jour, de redémarrage. Mais dans l’ombre de ces mots, il y a autre chose. Quelque chose de beaucoup plus doux et douloureux : une présence absente. Une personne disparue. Un amour qu’on ne parvient pas à désinstaller.

Nous n’avons pas compris la même chose
Au même endroit
Et au même moment
Et il me semble maintenant
Que nous n’avons plus
Le même intérêt
Pour les mêmes endroits
Les mêmes moments
Et bien pire, les mêmes sites.
Je t’enverrais bien une fleur
Pour te signaler

Que tout est consumé

Le titre, Mise à jour fonctionne à double sens. C’est l’obsession contemporaine : tout mettre à jour, synchroniser, optimiser. Et c’est aussi ce que l’on fait quand on tente de recommencer sa vie après une perte. Faire “la mise à jour” de soi-même. Supprimer l’ancien système. Effacer les données sensibles.

 Mais ce que dit le livre, c’est qu’il n’y a pas de correctif émotionnel. On peut désinstaller une appli. Pas un chagrin.

Depuis que tu n’es plus en ligne
Quelques problèmes matériels
Affectent l’immatériel et mon âme
Stockée dans les nuages
Se méprend tragiquement
Sur le type de données
Nécessaires à sa survie.
Ne me donne pas tort ou raison
Appuie simplement sur le bon bouton
Ouvre le dossier
Tu me verras dedans
En bits et en octets
Clic moi, fais attention à l’extension :
Je ne suis pas de ces fichiers qu’on brutalise, j’ai besoin d’amour
De compétence
Et d’une mise en page soignée.

Tristan Vodak écrit court. Il écrit clair. Et pourtant, dans cette limpidité formelle, quelque chose résiste. Chaque fragment semble chercher l’équilibre entre la pensée et l’émotion, entre le recul critique et la faille intime. Ce sont des morceaux de solitude à haute tension.

Il ne s’agit pas d’un récit au sens traditionnel. Pas de narration, pas de personnages. Plutôt un carnet de la désorientation. L’auteur s’y promène comme dans une ville vide, avec des souvenirs dans les poches. Il parle de société, mais toujours à travers le prisme d’une expérience intime. Il pointe le monde, mais avec un doigt tremblant.

Dans Mise à jour l’absence de lyrisme, la retenue extrême, deviennent des choix esthétiques et politiques. Pas de grande tirade. Pas de plainte explicite. Juste la langue tenue à bout de bras, comme une lampe dans la nuit. On devine plus qu’on ne lit. Et ce creux devient contenu.

Mise à jour n’est pas qu’un recueil qui parle du monde : il parle surtout de nous, quand tout se met à jour sauf l’intérieur. C’est un texte de deuil numérique, d’amour dissous dans le temps, et de résistance douce au bruit. L’ultime mise à jour serait peut-être, paradoxalement, d’apprendre à aimer sans support, sans réseau, sans version suivante.

 Tristan Vodak signe ici un recueil délicat et tranchant à la fois, qui tient autant du poème que du diagnostic. Et qui nous rappelle qu’aujourd’hui, la seule vraie mise à jour qui vaille encore la peine, c’est celle du cœur.

Tristan Vodak, Mise à jour, Les Éditions du Bunker, parution le 6 juin 2024, 64 pages, 15 €.

https://www.editionsdubunker.com

 ©SOPHIE CARMONA       Septembre 2025

 

 

Auteur/autrice

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut