DÉCHARGE

DÉCHARGE, ou j’irai cracher sur vos déviances.

 

« Plus tard, tu découvriras par hasard le lien étymologique entre monstre et montrer. »

Certains textes sont nés pour faire des émules, ou se veulent être écrits afin d’appuyer encore et encore, sur ce qui fait mal. Dans DÉCHARGE, aux éditions LansKine, Séverine — Dancourt — poétesse reconnue, donne ici un nouveau genre en matière de silences. Ces silences souvent subis qui se murent dans l’ombre en attendant de voir un jour, peut-être, la clarté. Souvent jamais, car les silences qu’on s’impose comme des muselières invisibles pour taire l’indicible, ont terriblement de mal à trouver la voie juste.

« Aujourd’hui tu ouvres la bouche, fini la dilution des sévices, fini le souci d’autrui. Chacun sa charge. Va falloir retirer vos boules Quiès, pour que tu te recentres. »

Par la force des mots et de la poésie, Séverine déploie, dans ce texte court, sa maitrise de la prose pour cartographier les étapes d’un lent étiolement. Une descente aux enfers patiente et destructrice qui fait basculer une fratrie dans l’innommable noirceur de parents quelque peu défaillants.

« Vous avancez collés, en géométrie invariable contre la tempête, chacun responsable de l’autre. Tu marches au ralenti, le souffle pris en délits d’incompréhension. »

« Imagine que tu n’imagines pas ce qui peut arriver. Tu rêves d’une accalmie. Trouver une clairière, sortir du terrier. »

« Le conte pourrait mal tourner. »

Avec force et courage après des décennies enfouies sous un tas bien colmaté de choses immondes, elle enclenche la restitution de son vécu dans l’expression. Dans ce récit, elle se réapproprie de nouveau cette voix qui n’aurait jamais dû être tue. Elle rend aussi la parole à chaque enfant laminé par un chaos avilissant. Elle redonne une voix intime à l’être qu’il aurait dû être. Pourtant, la démarche reste un exercice de style nécessaire, mais fragile, il ne peut être mécompris. Il a le droit de cité, il a ce droit d’exister.

« Plus tard, tu écriras, pour revenir à l’endroit assassiné. Mais tu ne le retrouveras pas. Quelque chose est impossible à localiser, donc à cautériser. »

« Imagine l’effroi, une fois deux fois trois fois. Les quarante années nécessaires à la remontée, quand ta main pour la première fois tiendra quelqu’un qui te tient. »

« Et comme des branches, les souvenirs se mettront à pousser et se ramifier dans le bourbier. Quarante ans après qu’on t’a déracinée, tu te radicaliseras, tu rejoindras la horde des désaxées. »

« Tu ne sais plus qui tu es. Tu es cent pour cent prête à culpabiliser. »

Peut-on réellement rendre forme à ces non-personnes qui sont détruites par l’impensable ? Peut-on réellement donner cet espoir à ces êtres pulvérisés devenus néant ?

Qu’en est-il de ceux qui n’ont rien vu ou qui n’ont pas voulu voir ? VRAIMENT ?

« Tu répètes : personne n’a rien remarqué ? »

« […] te faire remarquer que tu as changé, qu’elle l’a repéré, qu’elle est très inquiète de ton extinction, ton air désespéré. »

« Ce que tu as supporté, c’est ce qu’ils ont caché et que tu as besoin de révéler. »

Ne m’en voulez pas, mais, comme beaucoup, je crois, j’entends déjà les railleries et les « encore » blasés, bléssés, déculpabilisés. Oserai-je répondre spectaculairement que NON ! On ne peut plus accepter cette attitude-là. On se doit de changer de camp. On doit pouvoir enrayer ces comportements dans la dénonciation. On se doit d’applaudir cette prise de risque – toujours en fait –. On se doit d’encourager l’expression de ces traumatismes, de permettre à chacun d’assumer son histoire, et de la partager pour qu’elle ne se répète plus.

Ce texte est puissant, dérangeant, effarant, émotionnellement percutant. Cette puissance est renforcée par ce parti pris de déposer la souffrance grâce à la poésie qui devient cathartique.  Dénoncer les coups en musicalités à déclamer. De démultiplier ses impacts en mots de tous les jours. Pour que ça résonne. Pourque tout ça raisonne.

« Tu en es là, à cette capacité de raconter. Tu regardes autour de toi. Tu te demandes pourquoi les femmes violentées ont comme arme le silence alors que les hommes violentés ont comme arme la violence. Est-ce une question de courage ? Il faut du courage pour ne pas faire payer aux autres ses problèmes d’identité. Il faut du courage…  »

« Imagine la décharge : coup d’électricité, lutte arrêtée, délestage, vie victorieuse dans le fond du fond du tas de fumier. »

Un livre féministe ? Oui. Terriblement.

Est-il utile ? Bien entendu.

Est-il encore nécessaire ? OUI !

Pour faire du bruit et museler ce silence culpabilisateur. Nommer l’inexprimable pour qu’il en devienne pathétique et imbécile. Et recommencer encore et encore, pour que ça n’existe plus jamais.

Ceci ne vous a pas convaincus ?

Alors voici, pour terminer, ces derniers extraits. Faites-en du bruit. Faites-en des échos à ne plus en rougir. S’il vous plait. S’il vous plait !

« Tu finis ton petit paquet de merde, bien emballée. Tu n’obliges personne à ouvrir. Tu le poses en évidence, dans la vitrine avec les autres, pas convaincue que les connards les déserteurs les petit-chefs les bâtards qui en ont la possibilité prennent enfin la peine de bouger. »

« Il va falloir un peu de temps pour retomber parce que tu les as bien secoués. »

Séverine, Décharge. Éditions LansKine, paru le 6 novembre 2025, 56 pages, 13 €.

https://decharge.site/  https://editions-lanskine.fr/

@Sophie DAY    

Auteur/autrice

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