SALES NOUVELLES

Hadrien Timon Rouyard nous livre un premier ouvrage intitulé Sales nouvelles, publié aux Éditions des Lumières. Le titre, intrigant, donne une indication sur la teneur de cette fiction. Quatre nouvelles nous décrivent différentes facettes de la folie érotique. Un recueil comme un polyptyque que l’on désire observer dans l’obscurité d’une pièce éclairée par la seule lueur d’une bougie. À l’abri des regards indiscrets, mi-honteux, mi-enthousiaste. En somme, la promesse d’un ouvrage sombre, monstrueux, fascinant.

 

L’auteur s’était déjà fait remarquer, quelques années auparavant, avec un roman-journal, plutôt confidentiel, dont l’intrigue principale reposait sur l’errance d’un jeune homme dans la capitale, entrecoupée de rencontres et de réflexions personnelles. La forme du journal donnait au lecteur une nouvelle manière de concevoir et d’aborder sa lecture et venait souligner la forme, cette fois-ci, littéraire.

 

Le livre s’ouvre sur une nouvelle intitulée Médianoche. De quoi nous mettre en appétit. Le choix dans l’organisation des textes est judicieux, car cette dernière donne le ton et marque l’esprit du lecteur d’une moiteur froide.

 

Un jeune narrateur, alors âgé d’une dizaine d’années, s’était mis à écrire un poème à la fille qui faisait battre son cœur. Il le déposa sur le bureau de l’écolière qui finit par chercher le destinateur de ce texte. Une fois trouvé, elle lui déposa à son tour un papier l’invitant aux toilettes. Surpris du lieu choisi par sa bien-aimée pour leur premier rendez-vous, il s’y rendit tout de même, mais non sans une certaine appréhension. Elle était là, sous ses yeux, tenant d’une main son poème qu’elle jeta dans la gueule du cabinet qui en saliva à grande eau lorsqu’elle tira la chasse. Son poème rejoignit les déjections corporelles et son désir pour le « deuxième cerveau » se déclara.

 

Elle m’avait laissé là, choqué, le regard plongé dans l’embouchure du siphon, comme devant celle de son intestin grêle.[1]

 

Le texte se poursuit, gratifiant le lecteur de scènes aussi écœurantes que captivantes, que la langue de l’auteur sublime. D’une plume poétique, Hadrien Timon Rouyard saisit l’essence des situations pour en transmettre au lecteur l’odeur, la texture, la couleur, la densité, à l’image d’une peinture qui s’éveille sous les mots telle une ingrate qui sous le regard du désir se pare d’un voile de beauté.

 

Jouant avec le lecteur, il redéfinit les frontières de la transgression, dans une vision presque sacrée de la marginalité, que l’on pourrait percevoir comme un signe distinctif, une caractéristique profondément humaine. Les personnages rencontrés fendent le moule, tournant le dos à la bienséance morale, assumant les envies profondes. Une réalité se traduit ainsi sous la langue de son auteur.

 

Puis, il y a l’approche de l’art, du beau et du laid et de l’apparat derrière ces désirs triviaux racontés. Le narrateur de la première nouvelle, alors âgé de dix-neuf ans, revêt « une paire de mocassins vernis sur un velours de cachemire ou une flanelle, une chemise blanche popeline, et une veste dépareillée à un gilet »[2]. Une coquetterie, un souci du détail dans la manière de s’identifier. Soigneux, élégant, anachronique. Un clin d’œil au passé qui s’efface sous le passage de la modernité. Dans la troisième nouvelle, l’homme, dont le désir repose principalement sur l’abstinence, trouve en celle dont le surnom signifie « plaie infectée qui ne cicatrise pas » une beauté toute pénétrante, la comparant à la Vénus de Lorenzo Bartolini. « Sanie lui allait comme un gant, à voir son visage barbouillé d’éclaboussures de pus grumeleux, parsemé de pustules, certaines de la taille de tétons d’où suintait un lait caillé. »[3]. Plus tard, le désir pour Sanie se durcit. Lorsqu’elle est maquillée et apprêtée pour profiter des nuits florentines, l’homme est séduit par ce fardage qui ne fait qu’accroître la rugosité de sa peau.

 

Ces couches de crème détonnaient comme une greffe, travestissement de vieille putain où ses yeux étaient enfin remarquables, la finesse de leurs lignes perçant un visage saisi de pigments. C’est ce qu’il manquait aux femmes qu’il ne payait que pour voir, dans leurs sordides réduits parisiens : un éclat sans synthèse. Pour le reste, c’était le même prodige des cosmétiques. Ce qui défigurait Sanie n’était plus que des croûtes cireuses qui la décomposaient. C’était exactement ce que stimulait en lui la peinture à Paris, dans l’officine de son cerveau alcoolisé.[4]

 

Les descriptions faites du personnage de Sanie se font peinture et poésie ; de cette poésie baudelairienne qui fait se confondre la matière vivante, suintante et putride du corps à la finesse du désir et de l’envie. Le récit se met au service du style, remarquable, de l’auteur.

 

Derrière ces portraits, Hadrien Timon Rouyard aborde, avec la finesse de sa plume et l’humour d’un dandy, une certaine vision de l’amour, puis de l’art, du corps et de la pureté de son abandon. Il parle des autres, des hommes et des femmes, de leurs relations, de leurs regards et de leurs désirs dans un monde où l’abondance des interfaces promouvant des rencontres fidèles et longues cultive les solitudes et modèle les apparences. Sales nouvelles se fait alors le reflet piqué d’un présent vivant qui couvre les traces d’un passé qui se meurt, où la frivolité et l’impudeur se faisaient élégance.

 

Subitement, la réponse lui apparut : sa laideur animait un désir cinglant, quand la vraie grande beauté féminine, elle, se reconnait en ce qu’elle surprend, pour mieux forcer l’admiration. Là se croisait l’envie que suscitaient en lui le répulsif et l’interdit du sublime.[5]

 

Hadrien Timon Rouyard, Sales nouvelles, Éditions des Lumières, 6 novembre 2025, 106 pages, 16 €. https://editionsdeslumieres.fr/sales-nouvelles-hadrien-timon-rouyard/

 

© DAVID VALENTIN

[1] TIMON ROUYARD, Hadrien. Sales nouvelles. Éditions des Lumières, 6 novembre 2025, page 10.

[2] Ibid., page 14

[3] Ibid., page 75

[4] Ibid., page 78

[5] Ibid., page 76

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