AUX JUNGLES LABILES

Tout juste publié aux Éditions des Utopies, Aux jungles labiles de Julian Paillassa est une œuvre inventive et contemporaine. Sous des dehors ludiques, ce recueil cache une véritable réflexion sur notre rapport au vivant.

La poésie qui se lit aussi à la verticale, épouse ainsi l’instabilité du vivant et ses métamorphoses.

La jungle est dense, mouvante et poétique.

À travers une série d’acrostiches minutieusement ciselés, Julian Paillassa brosse le portrait d’une jungle étrange, où chaque animal devient un prétexte à un jeu de langage et à une méditation subtile. Le titre annonce la couleur : ces « jungles labiles » ne sont ni fixes ni maîtrisables. Elles glissent, échappent, se réinventent sous nos yeux.

Passereau heureux
Insouciant ou fougueux
Né pour yodler
Sous la coulpe nuptiale
Ombrageuse et triviale
Narguant l’aube effilée.

Derrière les animaux, l’homme

Chaque poème repose sur une structure d’acrostiche, dans laquelle les lettres initiales révèlent en filigrane un mot, une idée, un écho secret. Loin d’un simple exercice de style, Paillassa utilise cette contrainte formelle pour mieux renverser nos perceptions. Les animaux, à travers les jeux d’écriture, deviennent des miroirs tendus à l’humain.

Où se loge réellement la bestialité ?

La réponse de l’auteur, discrète mais implacable, semble pointer : derrière les ani-mots.

Mange du cobra
Au saut du nid en
Négligence des préavis
Gargarisée par la vitesse
Obéissant à ses prouesses
Une à une accomplies
Sous l’égide
Transcendante du vice
En mépris du péril avili.

Un style entre ludisme et exigence

Julian Paillassa joue avec les contraintes et propose une poésie précise, pleine de surprises. Les images jaillissent, inattendues, parfois drôles, parfois mélancoliques. La langue s’amuse, trébuche exprès, mais toujours pour mieux saisir l’insaisissable.

On est loin de la poésie décorative : Aux jungles labiles est un recueil que l’on savoure et qui interroge.

Derrière les mots, derrière les animaux, se dessine peu à peu une question sourde : où commence la bestialité ?

La réponse, esquissée sans dogmatisme, ramène l’humain face à ses propres dérives. Car dans les jungles modernes, il n’est plus toujours sûr de savoir qui observe qui, ni qui porte en lui la violence la plus sourde.

Les Éditions des Utopies offrent à ce livre un écrin sobre et élégant, fidèle à l’esprit du texte : une couverture ornée d’une illustration de deux singes en équilibre sur un grand bi, symbolique de cette précarité joyeuse qui traverse tout l’ouvrage.

Julian Paillassa, Aux jungles labiles, Éditions des Utopies, 192 pages, 15 euros.

Parution 19 mars 2025

 

© SOPHIE CARMONA

Auteur/autrice

2 réflexions sur “AUX JUNGLES LABILES”

  1. Patteblanche

    «  Venez, Singe, parlez le premier et pour cause.
    Voyez ces animaux, faites comparaison
    De leurs beautés avec les vôtres :
    Êtes-vous satisfait ? »,
    écrit La Fontaine, dans « La Besace ».

    Les animaux pourraient se mirer à loisir dans les vers des Jungles labiles, et décider si la plume leste de Julian Paillassa leur rend plus grâce qu’aux autres, mais il en est peut-être un qui, happé par cette lecture, oubliera (ou pas) de s’y regarder…

    « Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,
    Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes. »

    À glisser dans toutes les besaces !

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