« Un enfant ne peut être conçu deux fois. »
Que dire de cette réaction lapidaire de Vangelis quand on venait de lui proposer en 2016 de concevoir la musique de Blade Runner 2049, un film de Denis Villeneuve, sorti en 2017. Ceci après avoir créé la B.O. de Blade Runner 1, chef-d’œuvre de Ridley Scott diffusé en 1982, d’après le roman de Philip K. Dick. Grâce à une expression musicale d’une conception inédite, à savoir musique, rumeurs phoniques et effets sonores réunis ; le tout mis en perspective, produit et arrangé par Vangelis, l’œuvre de Philip K. Dick est entrée dans l’Histoire.

Cette piste, parmi tant d’autres, nous ramènerait directement à la poésie, mais les exemples les plus flagrants n’existent pas en Occident. À part l’œuvre de Victor Hugo en France et de Goethe en Allemagne, ils font légion (étrangère) à part. Le poète égyptien, Ahmed Rami, qui écrivit dans deux langues, dont le perse et qui maniait le Français, a dédié son œuvre tout entière à Om Kalsoum, la « Diva du Nil », l’« Astre de l’Orient »… La mise en musique n’a pas tardé par une kyrielle de génies musicaux que l’Occident ignore. Ainsi, le médecin Ibrahim Nagui, un autre fils du Nil, mieux connu en tant que poète que virtuose en médecine, a dédié son célèbre poème Les Ruines en 1966, à la diva égyptienne. Ces deux créateurs ont vu leurs poèmes écrits en arabe rhétorique se transformer en musique.
Inutile de chercher à reconstituer l’inspiration de Hölderlin ou de décortiquer l’œuvre de Thomas Mann pour en dégager la musicalité. Un exemple des plus tranchants de cette collusion, est la Cinquième symphonie de Gustav Mahler. Elle a inspiré Thomas Mann tandis qu’il écrivait La Mort à Venise dont la B.O. du chef-d’œuvre de Luchino Visconti, film éponyme sorti en 1971, ne sera que la Cinquième de Mahler, tout naturellement…
Faudrait-il interroger Erik Orsenna ou bien relire son livre Longtemps, sorti chez Fayard en 1998 ? Lisons plutôt cet extrait :
« Quand une femme est la douceur et le trouble, l’amusement et la gravité, la nouveauté et la mémoire, le voyage et la demeure, quand, du plus loin elle s’approche, une vague monte en vous, survolée d’oiseaux muets, quand le grain du moindre endroit de sa peau se lit comme un chant grand ouvert au-dessus d’un piano, quand ses yeux se plissent, n’osant pas tout à fait sourire, quand ses cheveux d’un seul mouvement balaient les jours et les jours passés à l’attendre, quant aux côtés de son cou quatre jugulaires battent une mesure effrénée, quand la nuit et l’ennui et le froid tombent à l’instant sur le reste de la Terre, quant à l’oreille déjà résonne le petit mot futur du bonheur, ‘viens’, quel homme digne de son nom refuse ce miracle et choisit de fuir en invoquant l’inconfort d’aimer. »
Sans omettre de citer Ferré/Aragon, Murat/Baudelaire, ces couples impossibles, recomposés sur scène !
Aussi irions-nous jusqu’à évoquer la littérature revécue au cinéma grâce à la musique ? Ce sera sans oublier l’éternelle beauté de Gene Tierney dans Laura, chef-d’œuvre d’Otto Preminger (1944), une beauté chaloupée par une musique inoubliable conçue pour la chanson éponyme, écrite par Johnny Mercer. Une chanson dont les paroles ont engendré le scénario même du film en question.

Et si nous faisions un détour par la tante Françoise (Sagan), la Jane Austen des lettres françaises, pour goûter de près à son tango, Aimez-vous Brahms… J’avoue qu’Ingrid Bergman était souveraine dans son rôle de Paula Tessier, dans le film éponyme, devant un Anthony Perkins fébrile à souhait, dans la peau de Philip Besh, un héros de Truffaut… Imaginons un instant Sagan écrivant Aimez-vous Brahms… en s’inspirant de Johannes Brahms, dont le 3e mouvement de sa 3e symphonie occupa la B.O. du film éponyme d’Anatole Litvak, sorti en 1961. Qui illustre qui ? Je parie que Brahms a mis Sagan à genoux. Elle ira jusqu’à écrire les paroles d’une chanson, interprétée par Yves Montand, qui reprend note par note le joyau de Brahms.
Il me tarde d’admettre que le chef-d’œuvre absolu du couple littérature-musique, un trésor hélas oublié du nôtre, est la tragédie Faust de Goethe, mise en musique par Hector Berlioz et dont la traduction en français a été assurée (à la sidération de Goethe lui-même) par le poète Gérard de Nerval avec des décors conçus et réalisés par Eugène Delacroix. Une œuvre présentée à Paris en 1823.
Un quatuor mythique ! Qui dira mieux ?

- Blade Runner (1982), chef-d’œuvre de Ridley Scott, d’après le roman de Philip K. Dick, Do Androids Dream of Electric Sheep ? Un film considéré comme le plus grand bijou de science-fiction de tous les temps. Une œuvre visuelle sublimée par la musique de Vangelis.
Erik Orsenna, Longtemps, Fayard, 1998.
© ALEX CAIRE
Révisé par Accompagner votre plume – Alexandra Francheteau