
Dire son Perec : trois nouvelles étoiles dans la constellation
Il y a des lectures qui vous construisent plus sûrement que des rencontres.
Georges Perec fait partie de ces présences tutélaires que je ne cesse de lire et de relire non pas pour en percer le mystère, mais parce que son écriture, faite de fragments, de jeux, de manques et d’obsessions, a forgé en moi une attention différente au monde, plus fine, plus libre, plus ludique. Je l’aime pour la justesse de son regard, pour sa gravité dissimulée dans le détail, pour sa capacité à cartographier l’intime.
Lire Perec, ce n’est pas seulement lire un auteur. C’est adopter une façon d’être au monde : une méthode d’attention, un goût du fragment, une fascination pour l’inventaire, une passion du détail.
C’est nommer pour contenir, classer pour habiter.
Une illusion peut-être de rendre le monde un peu plus lisible.
La collection Perec 53 publiée par les éditions L’Œil ébloui c’est 53 livres, 53 pages, 53 artistes invités à dire leur Perec. Une bibliothèque construite comme une contrainte, mais ouverte comme une aire de jeu.
Chaque volume devient une variation autour d’un même motif : lire, traduire, prolonger Georges Perec, écrire avec lui, autour de lui. Comme un choral à voix multiples, une partition obsessionnelle, tendre, rigoureuse, étrange.
Trois derniers opus viennent s’ajouter à cette collection pour continuer de tisser la constellation.
Pierre Getzler, Place Saint-Sulpice, les 18 & 19 octobre 1974
Un livre d’images et de souvenirs.
En octobre 1974, Georges Perec s’installe à Saint-Sulpice pour sa fameuse Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Trois jours durant, il note tout ce qu’il voit, ou presque. Ce n’est pas un récit, mais une liste. Ce n’est pas un roman, mais une méthode.
Une tentative.
Pierre Getzler, photographe et ami de longue date, était là. Il photographie ce que Perec observe. Il saisit les angles, les bus, les silhouettes, les moindres détails. Le livre qu’il propose ici, cinquante ans plus tard, est une sorte d’hommage documentaire et affectif.
Les photographies viennent en contrepoint du texte original.
Mais plus qu’un contrechamp, c’est un regard parallèle, complémentaire, presque fraternel.
Le volume contient aussi des contributions de Claude Burgelin, biographe de Perec, qui évoque la relation entre les deux hommes.
Ce n’est pas un essai sur Perec, c’est un livre à côté de lui. Un livre qui observe, qui rappelle, qui reconstruit par le regard.
Sophie Coiffier, L’éternité comme un jeu de taquin
Sophie Coiffier choisit d’entrer dans l’univers de Perec par une forme mouvante et modulaire. Son livre s’inspire du jeu du taquin, ce carré de neuf cases dont une est toujours vide, et qui permet de recomposer une image en déplaçant les pièces.
Le texte, composé de neuf chapitres- images et d’autant d’images diffusées en pleine page, glisse, se recompose, se déplie sans se figer.
Jean-Louis Bailly, Le timbre à un franc
Ce livre est sans doute le plus narratif des trois, et le plus personnel.
Jean-Louis Bailly revient sur un épisode vieux de cinquante ans : adolescent, il écrit à Perec pour lui demander un texte inédit pour une revue qu’il rêve de fonder. Perec répond immédiatement en lui proposant un extrait du roman à paraitre : Un extrait manuscrit de La Vie mode d’emploi.
Deux lettres manuscrites de Perec sont reproduites dans le volume.
C’est un récit de fidélité, d’admiration discrète, de transmission silencieuse.
Ces trois livres ainsi que toute la collection Perec 53 ne cherchent pas à figer Perec dans un monument.
Ils le mettent en mouvement, en variation, en circulation.
Ils prolongent ses gestes, ses obsessions, sa liberté.
contact@loeilebloui.fr
Facebook, Instagram, LinkedIn, YouTube
©SOPHIE CARMONA
Juin 2025