
Qu’est-ce qui reste, quand tout vacille ?
Dans Joies, Claire Garand explore cette question vertigineuse à travers une poésie du fragment et de la faille. Publié aux Éditions la tête à l’envers, ce nouveau recueil poursuit une œuvre singulière où l’intime se mêle à l’universel, dans une langue travaillée à vif.
Derrière son titre, Joies rassemble des éclats de vie, des visions brèves, comme autant de tentatives pour nommer l’insaisissable. Chaque poème semble suturer une brèche, éclairer une fêlure. Les textes, souvent narrés à la première personne, sont traversés par une tension constante entre lucidité et imaginaire, entre violence et tendresse.
Je ne suis pas d’ici
Ailleurs n’est pas chez moi
Personne ne m’a donné mon nom
Celui qui me précède, je ne le connais pas Celui qui vient après moi m’ignore
Je suis libre
Dès les premières lignes, le ton est donné : celui d’une lutte intérieure contre l’indicible. La langue de Claire Garand est précise, tendue, dépouillée. Elle refuse l’emphase, préférant creuser l’émotion dans sa forme la plus brute.
Vide
Sans envie d’être rempli
Du centième étage
Je tombe
Avec nonchalance
En regardant le sol s’approcher
Rien de fascinant
Ici, la douleur devient matière poétique. Mais jamais avec complaisance : plutôt avec une rigueur sèche, un rythme tenu, une honnêteté bouleversante. La poésie de Claire Garand ne cherche pas à embellir ni à expliquer ; elle expose, frontalement, ce qui tremble sous la surface.
Dans Joies, l’enfance affleure. Il y est question de solitude, d’effacement, de mémoire trouée, mais aussi d’une obstination à exister, à dire malgré tout.
Ce que j’ai vécu est mort
Ce que j’ai vu a disparu
Ceux que j’ai connus ne sont plus ceux que j’ai connus
Chaque matin
Je recrée l’univers
Sans y penser
Cette obstination donne au livre une tension souterraine, comme une lutte contre le silence et l’oubli. Claire Garand parvient à faire dialoguer le concret (les vomissements, les doigts, la glace, les herbes) et l’abstraction la plus vertigineuse, sans jamais forcer la métaphore. Chaque mot semble pesé, arraché au réel.
Le recueil ne propose aucune consolation facile. Il avance par secousses, par éclats, et c’est justement ce refus de lisser, ce travail de l’âpre, qui rend la lecture intense.
Joies est un livre que l’on lit à voix basse. Il parle à celles et ceux qui connaissent l’effondrement silencieux, la mémoire trouble, le désir violent de tenir debout. Il offre une poésie du bord, une poésie de la lutte.
Dans son dépouillement, Claire Garand parvient à capter quelque chose d’essentiel et d’universel : cette part de nous-même qui continue à chercher une forme de lumière, un éclat de joie, aussi fugace soit-il.
Claire Garand, Joies, Éditions La tête à l’envers, 68 pages, 16 euros
Gravure de couverture Sabine Delahaut
Parution le 28 avril 2025
https://www.editions-latetealenvers.com
© SOPHIE CARMONA
Avril 2025