SOURIRES D’UN ENFANT CACHÉ

 

Sous le masque, la mémoire.

Sur la couverture de Sourires d’un enfant caché, un visage : celui du Pierrot, la marionnette de Louis Valdès, figure silencieuse d’innocence blessée. Ce choix n’est pas décoratif ; il ouvre déjà la lecture : tout ici sera affaire de masques, de sourires imparfaits, d’identités fragiles sous la violence de l’Histoire. Le sourire, comme le masque du Pierrot, devient protection, camouflage, mais aussi abîme.

Une fois de plus, je fus comme un enfant qui joue à cache-cache et qui ne sait plus ce qu’il craint ou désire le plus:
rester caché, être découvert.
Georges PEREC, W ou le Souvenir d’enfance

Jean Yvane en pleine pandémie, revient sur son enfance et retrace le destin de l’enfant juif caché durant l’Occupation. Mais au-delà du récit historique, il interroge une blessure intime : que devient l’enfant lorsque la peur, la perte et la trahison sont ses premiers apprentissages du monde ?

Refusant le romanesque et le pathos, il compose avec tension et pudeur un roman fragmenté pour dire toute sa reconnaissance à Simone et Jamy, toutes deux dignes de figurer sur Le Mur des Justes, elles, qui ont caché l’enfant.

Derrière l’homme confiné, l’enfant caché.
Mais l’enfant caché appelle. Mais l’enfant caché crie. Chacun de mes personnages, chacun de mes héros ou héroïnes, serait habité par une seule et même idée. Pas le moindre petit espace ouvert sur le large et le grand large. Des huis clos en reveux-tu en revoilà. Et moi qui jusqu’ici me suis longtemps cru sans blessures, au point d’opposer à Mme K. ma dignité offensée, je me découvre tel L’Écorché sur sa croix !

Jean Yvane explore la survivance des blessures invisibles, la difficulté d’habiter une vie commencée sous le sceau du silence. Il raconte l’insécurité et la peur, le poids du secret qui contraint à taire, à dissimuler, à renier une part de soi.

Chaque chapitre avance à pas feutrés, respectant l’intimité de ce souvenir effrité. Le style, presque clinique parfois, refuse l’emphase pour mieux restituer la vérité nue.

Ce roman n’est pas seulement un récit de mémoire historique ; il est une méditation silencieuse sur la survivance psychique, sur ces sourires qui ne disent pas la joie, mais la cicatrice polie par le temps.

Avec Sourires d’un enfant caché, Jean Yvane livre une œuvre discrète, essentielle, qui fait résonner la part la plus fragile, la plus humaine de notre histoire.

Personne n’est venu pour m’embarquer, mais il m’en est resté depuis la contrariété d’avoir eu à révéler ce qu’il y a également de plus profond en moi, ce qu’il y a également de plus intime et qui m’appartient, convaincu que l’on ne naît pas juif mais qu’on le devient. Joyce, que je consulte un peu trop fiévreusement, n’écrit pas autre chose: «C’est en vieillissant qu’on devient juif ». J’ai vieilli et parce que j’ai vieilli, je sais. Avec ou sans formulaire. Avec ou sans réponse à ma requête.

Jean Yvane, Sourires d’un enfant caché, Éditions M.E.O, 116 pages, 15 eruos.

Parution le 11 mars 2025

https://www.meo.editions.be

© SOPHIE CARMONA

Avril 2025

 

Auteur/autrice

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