TRAINSPOTTER

Les Éditions Zulma ont eu l’excellente idée de proposer Trainspotter d’Ehsan Nourouzi en version française.

Trainspotter est un roman de road trip ferroviaire. Un texte où le rail, bien plus qu’un sujet, devient une clef. Celle d’un pays, l’Iran, et d’un homme, son narrateur, qui y cherche dans le tremblement des wagons, la rumeur des gares, le silence des lignes abandonnées, la possibilité d’un lien.

Ehsan Norouzi, armé d’un sac à dos, de patience et d’une lettre officielle, entreprend un voyage d’un an sur les voies ferrées de son pays. Il remonte les lignes comme on remonte une mémoire. Son Iran est traversé, traversable, non plus par l’autoroute ou l’avion, mais par les chemins de fer, ces veines métalliques où palpite encore un rêve d’unité. Il s’arrête, interroge, fouille, note. Un chef de gare à la retraite raconte une anecdote ; un aiguillage rouillé devient un vestige de politique étrangère. Les paysages défilent, montagnes, steppes, forêts et avec eux, les récits, les accidents, les promesses. Il y a une tendresse pour le détail, une attention à ce qui reste, ce qui résiste. À la ferraille comme aux hommes.

Mais ce n’est pas seulement l’enquête qui importe. Ehsan Norouzi écrit avec une forme de douceur ironique, un plaisir humble de raconter sans surplomb. Son texte est traversé d’humour, d’érudition jamais pesante. Il ne s’agit pas ici de fuir, mais de revenir. Revenir au pays, à l’histoire, à soi-même.

Tout, dans Trainspotter, semble légèrement en retard, comme les trains qu’il prend, jamais vraiment à l’heure, toujours sur le point de partir. Il y a du temps suspendu dans cette prose, comme dans les gares rurales où l’on attend un train qui ne viendra peut-être plus. Et pourtant, le narrateur continue. Il avance. Il continue de croire que chaque rail, même rouillé, mène quelque part.

Le livre, admirablement traduit par Sébastien Jallaud, est aussi une œuvre de passage. Du persan au français, de l’archive à la parole vive, du souvenir au présent. Il se lit avec lenteur et fidélité, comme on lit une carte ou une correspondance oubliée. Le roman est sélectionné pour le Prix Nicolas Bouvier.

Zulma Editions had the excellent idea of publishing Trainspotter by Ehsan Norouzi in a French translation.
Trainspotter is a railway road trip novel. A text in which the railways, more than just a subject, become a key—one that unlocks a country, Iran, and a man, its narrator, who searches within the tremors of train cars, the murmurs of stations, the silence of abandoned lines, for the possibility of connection.

Armed with a backpack, patience, and an official letter, Ehsan Norouzi embarks on a year-long journey across his country’s railway network. He retraces the lines the way one retraces memory. His Iran is crossed and crossable—no longer by highway or airplane, but by railways, those metal veins where a dream of unity still pulses. He stops, questions, investigates, takes notes. A retired stationmaster shares an anecdote; a rusted switch becomes a relic of foreign policy. The landscapes pass by—mountains, steppes, forests—and with them come stories, accidents, promises. There is tenderness in the details, an attentiveness to what remains, what endures. To scrap metal, and to people.

But it’s not only the investigation that matters. Ehsan Norouzi writes with a kind of ironic gentleness, a humble pleasure in storytelling without condescension. His prose is laced with humor, with erudition that never weighs it down. This isn’t a story about escape, but about return. Returning to one’s country, to history, to oneself.

Everything in Trainspotter seems slightly delayed, like the trains he takes—never quite on time, always just about to depart. There is a sense of suspended time in his prose, like in rural stations where one waits for a train that may never come. And yet, the narrator keeps going. He moves forward. He continues to believe that every rail, even a rusty one, leads somewhere.

The book, beautifully translated by Sébastien Jallaud, is also a work of passage. From Persian to French, from archive to living voice, from memory to the present. It is meant to be read slowly and faithfully, like reading a map or a long-forgotten letter. The novel has been shortlisted for the Nicolas Bouvier Prize.

Dès les premières lignes, votre passion pour les trains transparaît avec éclat.

Mais dites-nous, d’où vous est venue cette idée singulière : entreprendre un voyage ferroviaire d’un an ?

Je pense que nous rêvons tous de voyager sur une longue durée, la vraie question est de savoir quand et si nous choisissons de le prioriser par rapport à d’autres choses dans notre vie, comme gagner plus d’argent, avoir une meilleure voiture ou atteindre une stabilité financière. J’ai toujours été un voyageur immobile, un lecteur passionné de récits de voyage, qu’il s’agisse des expéditions aventureuses des explorateurs ou des récits curieux des scientifiques partis découvrir le monde (des chasseurs de plantes aux ethnographes). Pendant un certain temps, je pensais être né trop tard pour devenir moi-même un tel voyageur. Voyager réellement quelque part me semblait inutile alors qu’on peut voir l’endroit sur Google Maps ou lire toutes sortes d’informations à son sujet. Presque tous les lieux semblaient déjà “connus” et “cartographiés”, et le monde n’avait plus vraiment de mystère. Jusqu’à ce que je commence à comprendre qu’au lieu d’être un chasseur de trésors ou de plantes, je pouvais devenir un chasseur d’histoires, à l’écoute des récits des gens, déterrant les histoires oubliées de lieux et de vies. J’ai essayé de devenir l’une de ces personnes voyageuses que j’admirais étant enfant, une version du XXIe siècle d’eux.

Did this journey across Iran’s railway lines serve a specific purpose? And how did you prepare yourself for this adventure along the tracks and toward the unknown?

I think we all dream about a long-time traveling, it is just when and if we prioritize it over other things in our life, like having more money, a better car, or a financial stability. I have been always an armchair traveler, an avid reader of travel stories, whether the adventurous voyages of explorers or the curious accounts of scientists who travel to discover the world (from plant-hunters to ethnographers). For a while I was thinking that I was born too late to become such a traveller myself. It seemed pointless to really travel somewhere while you can see it by Google map or read all sorts of things about it. Almost everywhere seemed to be “known” and “mapped” and the world is not that mystery anymore. Until I began to realize that instead of a treasure-hunter or a plant-hunter, I can be a story-hunter listening to people’s stories, digging out the buried forgotten stories of places and lives. I tried to become one of those traveling people I adored as a child, a 21st century version of them.

Ce périple à travers les voies ferrées iraniennes répondait-il à un dessein bien défini ? Et comment vous êtes-vous préparé à cette aventure aux confins des rails et des horizons ?

 Mon voyage avait commencé deux ans avant le départ. Il avait débuté dans les bibliothèques et les archives, lorsque j’ai commencé à lire tout ce qui concernait les trains et les chemins de fer : comment ils avaient été construits à travers le monde, comment ils avaient influencé nos vies. Ces recherches m’ont donné une idée de ce qu’il fallait observer une fois en route. Mais l’un des charmes du voyage, c’est qu’on ne peut jamais être totalement préparé. Il y a toujours des détours, des chemins inconnus, des voies inexplorées, des rencontres inattendues qui changent vos plans ou vous renvoient aux bibliothèques pour approfondir vos recherches. Ainsi, même muni de la boussole des recherches et des cartes d’objectifs, il faut toujours faire preuve de souplesse et de créativité face aux obstacles.

Did you have a specific goal in mind when you embarked on this journey through the Iranian railway system? How did you prepare for your trip?

My journey had started two years before my actual trip. It started in libraries and archives, when I began to read anything related to trains and railways, about how they were constructed all over the world, how they affected our lives. Those researches gave me an idea of what to look for when I’m actually on the journey. But one of the beauties of traveling is that you can never be totally prepared. There are always some detours, undiscovered paths, unexplored ways, unexpected encounters that change your plans or send you back to libraries to research more. So, though equipped with the compass of researches and maps of goals, you always have to be flexible and creative coming across the obstacles.

Quel a été le moment le plus marquant de votre voyage en train à travers l’Iran ?

 Il est difficile de désigner un seul moment. Même les parties les plus ennuyeuses ou frustrantes du voyage ont leurs instants de révélation. Cela dit, un moment fou et particulièrement excitant que j’aie vécu, c’est lorsque j’étais assis dans la locomotive, à côté du conducteur, en traversant les montagnes du nord de l’Iran. Nous avons franchi plusieurs ponts surplombant de profondes vallées, reliant des tunnels creusés dans la montagne. Vu de l’intérieur d’un wagon passager, on ne remarque pas grand-chose, mais depuis la locomotive, on voit clairement qu’on roule sur deux lignes parallèles. C’est difficile à croire qu’un train, pesant des milliers de tonnes, rempli de passagers, puisse passer sur une telle ligne suspendue à des milliers de mètres au-dessus du sol. Et ils ont construit cela il y a plus d’un siècle. On connaît la science qui rend tout cela possible, mais le voir de ses propres yeux reste tout simplement incroyable.

 What was the most memorable moment of your train journey through Iran?

It is hard to specify a single moment. Even the most boring or frustrating parts of the journey have their insightful moments. Still, a very exciting crazy moment I experienced was when I was sitting in the loco, beside the conductor, riding in the mountains of northern Iran, and we passed over several bridges over deep valleys connecting tunnels in the mountains. From a sideway view of a passenger, you probably do not notice much, but inside the loco, you see how you are riding over two parallel lines. It is hard to believe that a train, thousands of tons, full of people, passes over such a line hanging thousands of meters up the ground. And they used to build it more than a hundred years ago. You know the science behind it, but still it is unbelievable seeing it in real life.

Parmi toutes les personnes que vous avez croisées, y en a-t-il une qui vous a particulièrement marqué ?

 Je crois sincèrement que si l’on est attentif et patient, toutes les personnes sont impressionnantes et ont des histoires intéressantes à raconter. Bien sûr, ce que font les conducteurs semble être le métier le plus cool, mais les autres personnes du monde ferroviaire, souvent invisibles à nos yeux — les ouvriers, les travailleurs de l’ombre — ont des vies et des récits tout aussi impressionnants. Cela dit, les plus étonnants restent les enfants et leurs réactions face aux trains. Leur émerveillement et leur surprise lors de la rencontre avec un train redonnent à notre propre expérience une fraîcheur, une étrangeté : ils nous rappellent à quel point ce phénomène en apparence simple est en réalité profondément marquant.

Among all the people you met, was there anyone who particularly left an impression on you?

 I really believe that if you are an attentive patient listener, all people are impressive and have interesting stories to share. Of course, what conductors do seems to be the coolest job, but other railway people who are invisible to us, the simple labour, have as impressive lives and stories as others. Still, the most amazing are children and their reactions to trains. Their amaze and surprise in an encounter with a train, defamiliarizes our experience too, reminds us how significant is this seemingly simple phenomenon.

Vous nous faites également voyager sur le plan historique. Le livre est très riche d’anecdotes et d’histoire. Quelle période historique et quel événement vont ont le plus interpeller ?

 Je suis fasciné par le XIXe siècle. Pas seulement en raison de la naissance et du développement des trains et des chemins de fer, mais aussi parce que c’est l’époque des naturalistes, des scientifiques et des voyageurs “amateurs”. En tant que personne ordinaire, non spécialiste, on pouvait voyager en train, acheter des livres à des prix abordables ou les lire dans les bibliothèques publiques. Il n’était pas nécessaire d’être un aristocrate ou une personne fortunée pour devenir un “homme du monde” : une personne ordinaire pouvait suivre ses questions jusqu’aux confins du monde.

 You also take us on a historical journey. The book is rich in anecdotes and history. Which historical period or event stood out to you the most?

 I’m fascinated with the 19th century. Not just because of the birth and development of trains and railways, but also for it is the period of “amateur” naturalists, scientists, travelers. As a non-specialist ordinary person, one can travel on a train, buy almost non-expensive books or read them at the common public libraries. You don’t necessarily need to be an aristocrat or a rich person to become a “man of the world”, an ordinary person can follow his questions to faraway places.

Avez-vous écrit une partie du livre pendant votre voyage, ou tout a-t-il été retravaillé après votre retour ?

 Lorsque j’ai commencé le voyage, j’avais déjà accumulé un millier de pages de notes prises dans toutes sortes de livres et de documents. J’en avais classé certaines chronologiquement, d’autres selon les lieux, pour savoir quoi chercher à chaque étape. En parallèle, j’avais mes carnets pour y noter mes impressions. J’enregistrais aussi des voix et prenais des photos. Le processus final d’écriture ressemblait donc surtout à un travail d’assemblage, un peu comme construire un train miniature… mais sans plan ni notice. On a des centaines de pièces, des figurines miniatures, des trains-jouets, et il faut en faire un voyage captivant. C’est un travail long, qui demande beaucoup de patience, mais qui est aussi très amusant. La partie la plus brutale du travail, c’est la quantité énorme d’histoires et de personnages qu’il faut finalement écarter, un prix à payer pour garder le récit intéressant pour les lecteurs.

 Did you write part of the book during your trip, or was it all rewritten after you returned?

When I started the journey, I already had a thousand pages of my notes taken from all sorts of books and documents. I had sorted some chronologically and some based on locations, so that I know what to look for in each place, but at the same time I had my notebooks for writing of my impressions. I recorded voices and took photos too. So the final writing process was mostly like putting pieces in places, like building a toy train model but one without a map or instructions. You have hundreds of pieces, miniature figures, toy trains and you have to build an interesting journey with them. It is time-consuming and needs lots of patience, but it is fun too. The brutal part of the job was the huge amount of stories and characters that you have to put aside at the end, a price you pay to keep the journey interesting for readers.

Votre livre a été réimprimé plusieurs fois en Iran. Vous attendiez-vous à un tel succès ?

Avez-vous hâte de découvrir l’accueil de votre livre en France ?

 Pas vraiment. Je savais que cela attirerait probablement des personnes intéressées par l’histoire, les trains ou les voyages, mais le livre a aussi touché un lectorat plus large, ce que j’espérais sans en être du tout certain. Cela a finalement eu un retentissement bien plus grand que je ne l’imaginais, au point de donner naissance à un circuit touristique spécial en train, avec des arrêts dans des gares historiquement importantes et un focus sur l’histoire du chemin de fer. J’ai la chance de voir que mon livre a eu un impact, même modeste.

La publication de la traduction française a été un vrai choc. Cela a représenté un énorme pari pour l’éditeur, car ce n’est pas le genre de littérature iranienne auquel le marché français est habitué. Et ce qui m’a le plus touché, c’est d’avoir été sélectionné pour un prix littéraire portant le nom de quelqu’un que je respecte profondément et que j’admire : Nicolas Bouvier.

Your book has been reprinted several times in Iran. Did you expect such success?

Are you excited to see how your book will be received in France?

Not really. I knew it probably attracts people who are interested in history, trains or traveling, but it connected with an average reader too, what I wished but was not sure about it at all. It turned out much bigger than I expected and it led to the launching of a special tour on train that includes stops at historically important stations and focuses on the history of the railway. I’m lucky to see how my book had an impact, however small.

The publication of the French translation is a bit of shock. It needed a huge risk from the publisher because this is not the usual Iranian literature that French book market is used to. And the most precious thing was being shortlisted for a literary prize of somebody whom I respected and looked up to: Nicolas Bouvier.

Sur quels projets d’écriture travaillez-vous en ce moment ? Et quelle est l’actualité qui accompagne votre parcours ces derniers temps ?

En ce moment, je termine mon prochain livre, qui parle de mon dernier voyage en France et de la manière dont j’ai trouvé une paire de lettres sur un marché aux puces. Ces lettres, étonnamment écrites en persan, avaient été envoyées par une jeune fille polonaise, au milieu des années 1970, à un jeune homme iranien. Elles étaient romantiques et magnifiques. Elles ont éveillé ma curiosité sur l’histoire de ces deux personnes. J’ai fini par retrouver l’expéditrice, une dame aujourd’hui septuagénaire, et elle a partagé avec moi son histoire d’amour, qui s’est révélée bien plus vaste, plus fascinante et plus complexe que tout ce que j’aurais pu imaginer.

C’est un livre sous forme de lettres, un hommage à la correspondance, centré sur deux lettres en particulier et sur l’histoire qui les entoure.

What writing projects are you currently working on? And what recent events or news are shaping your literary journey these days?

Nowadays I’m finishing up my next book chichis about my last trip to France and how I found a pair of letters in a flea market. The letters, oddly written in Persian, sent by a Polish girl in the mid-1970s to an Iran guy, are romantic and beautiful. They made me curious about the story of these two people. I finally found the sender of the letters, a lady now in her 70s, and she shared with my her romantic story which turned out to be much bigger, more interesting and more complicated than my biggest expectations. It is a book in the form of letters, in praise of letter-writing and about two specific letters and the story around them.

Ehsan Norouzi habite à Téhéran… lorsqu’il n’est pas en vadrouille.

Conteur vagabond, il est l’un des initiateurs de la non-fiction dans le paysage littéraire iranien. Influencé par la Beat Generation, il est le traducteur en persan de Sur la route de Jack Kerouac. Après un récit de voyage à travers l’Europe sur les pas de Haji Sayyah – aventurier du xIx® siècle ayant parcouru le monde pendant près de vingt ans, activiste des droits de l’Homme et premier Iranien naturalisé Etats-Unien -, Ehsan Norouzi part sur les routes de son propre pays. Ou plutôt sur les rails.

Ehsan Norouzi Trainspotter, Éditions Zulma, parution le 3 avril 2025, 304 pages, 22 €

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© SOPHIE CARMONA

Avril 2025

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