
Dans Lettres, recueil publié aux éditions La Rumeur Libre, Guillaume Dreidemie livre trois textes suspendus, écrits à voix basse. Trois lettres, comme autant de fragments d’une parole retenue, d’une pensée qui se déploie avec pudeur. Ce n’est pas un livre bavard, ni démonstratif : c’est un livre qui écoute, qui regarde, qui laisse venir. Un livre de silence, autant que d’écriture.
Écrire depuis le regard : La Lettre du peintre
La première lettre, La Lettre du peintre, s’ouvre comme une méditation, on se souvient du Matin des pierres [1] paru en 2023. Guillaume Dreidemie n’écrit pas sur la peinture : il écrit depuis elle. Il adopte le regard du peintre, mais un regard troublé, qui ne cherche pas à fixer l’image, seulement à en suivre les contours fuyants. La lumière, les formes, le passage du temps, autant d’éléments insaisissables que l’écriture tente pourtant de retenir. Il y a du Cézanne dans cette lettre, oui, mais aussi du Giacometti : cette volonté de frôler sans jamais saisir pleinement. C’est une lettre qui regarde plus qu’elle ne décrit, qui effleure plus qu’elle n’analyse. Une esthétique du retrait.
Demeure
Un instant au regard du peintre
Ne cède pas au bord
Reluisant de ces cimes,
Avec un peu de chance
La montagne nous livre
L’écho vif de notre mémoire.
La mémoire tendre : La Lettre de ma mère
Sans doute la plus poignante, La Lettre de ma mère explore un autre type de silence : celui de l’intime, du non-dit, de l’émotion contenue. Le texte semble écrit « à l’envers », comme si la mère parlait à travers son fils, ou l’inverse. Il y a là une douceur inquiète, une distance affectueuse, le poète effleure l’absence, la tendresse, les souvenirs flous, avec une grande délicatesse. On sent que l’essentiel est entre les lignes, que le silence y a autant de poids que les mots.
Je vous parle d’un autre monde où je ne vous ai jamais oubliés.
Je vous parle de votre enfance,
J’y étais à vous tenir entre mes pattes pour que vous ne tombiez pas.
Alors si je tombe, fébrile, que ce soit dans vos bras d’amour !
Rome intérieure : La Lettre à Rome
La dernière lettre, La Lettre à Rome, est la plus méditative. Guillaume Dreidemie y évoque la ville comme un mythe, une idée, un exil personnel. Rome n’est pas ici un simple décor historique, mais un lieu intérieur, stable et lointain, qu’on convoque pour se tenir debout. La figure d’Ovide s’y profile, poète exilé, figure tutélaire d’un départ sans retour. Mais l’auteur ne cède pas à la nostalgie : il interroge plutôt ce qui en nous reste fidèle à des lieux disparus, ou jamais atteints. Ce que nous inventons pour survivre à l’absence.
Tu reviendras, Tu es déjà revenu,
Ta lyre n’a d’autre choix que de vivre,
Ô Latins !
Force de vos rames qui battent la tempête !
Dans Lettres, Guillaume Dreidemie écrit à pas feutrés, mais chaque mot compte. On pense à ces journaux intimes qu’on découvre par hasard, dans un grenier ou un tiroir, laissés là sans fracas, mais porteurs d’une vérité essentielle.
Avec ce recueil, Guillaume Dreidemie rappelle que l’écriture peut encore être un geste de retrait et que ce retrait, loin d’éteindre la voix, l’éclaire.
Guillaume Dreidemie, Lettres La rumeur libre, 80 pages, 16 euros
© Sophie Carmona
[1] Recueil de Guillaume Dreidemie paru en 2023 à La rumeur libre. Entretien à lire sur http://lecontrehasard.com/?p=693