
On surnommait Alain Cadéo « l’homme aux 10.000 pages ». Après sa disparition en juin 2024, son épouse, Martine, a choisi de faire vivre son œuvre au-delà de l’absence.
« Il écrivait tous les jours et beaucoup.
Je ne veux pas que ses écrits se perdent
Et surtout je crois que je ne veux surtout pas qu’on l’oublie
Ses éditeurs publieront un livre par an qui sortira toujours le 12 Juin. »
Il y a des livres qui ne viennent pas pour remplir un vide, mais pour en faire entendre l’écho. Contes des petits mondes d’à côté d’Alain Cadéo est de ceux-là. Il paraît un an après la disparition de son auteur, comme une lumière laissée allumée dans une pièce qu’on croyait éteinte.
J’ai eu la chance de m’entretenir avec Alain Cadéo en 2024[1]. Il incarnait une manière d’être au monde lente et douce, où chaque mot ne valait que pour l’attention qu’on lui portait. Il parlait comme il écrivait : à voix basse. C’était, tout un monde en soi, que j’avais nommé le monde cadéolien.
Dans ce recueil publié aux Éditions La Trace, Alain Cadéo nous laisse vingt-quatre fragments. Des contes mais sans fées ni magie spectaculaire. Plutôt des microcosmes, des “petits mondes d’à côté », peuplés de rêveurs, de solitaires, de figures effacées par le monde et ressuscitées par l’écriture. Le titre de chaque texte, à lui seul, est déjà une promesse : Le funambule théosophe, Les yeux interdits, Le vieil ami des mots, Gardien des âmes oubliées…
La voix des rêves
Et pourquoi ne pas un jour ou l’autre utiliser cette formule que les petits enfants aimèrent, aiment et aimeront encore, j’espère, plus que tout.
« Il était une fois… » Un bien curieux imparfait figeant le temps, ouvrant une autre dimension.
Vous vous souvenez sans doute
du silence adroit suivant ces quatre mots.
Nous restions cois, bouche ouverte, nous tortillant un peu pour mieux nous préparer, fixant éperdument le conteur familier, qui, ici, dans cette histoire vraie, vivait dans un vieux cotre en bois, en cale sèche, un peu à l’écart du petit immeuble gris, ressemblant pour deux sous à un vilain château de sable où avec nos parents, trois familles vivaient.
Cette littérature-là ne veut pas distraire : elle cherche à raccorder. Raccorder les êtres aux choses, les mots aux silences, le lecteur à sa propre mélancolie.
Alain Cadéo avait cette proximité d’esprit avec Christian Bobin. Une attention portée au détail, une affection pour les êtres simples, une poésie sans artifice. Il y a chez lui ce même amour du presque rien : une lumière sur un visage, une voix dans le noir, un regard qui hésite. Chez lui, la fragilité devient forme de sagesse. Il donne voix aux invisibles avec une pudeur rare.
Et comment ne pas souligner la lettre de Tom Noti, qui clôt le recueil ? Elle n’est pas qu’un hommage : elle est une poignée de main.
Lettre de Tom Noti, avril 2024
Alain,
ton livre est un cerisier.
Je ne ramasse jamais les cerises pour les autres même pour ceux que j’aime.
C’est un plaisir solitaire, un truc de l’enfance. Je grimpe dans l’arbre, je prends, je gobe, je recrache haut les noyaux vers le bleu (en expulsant bruyamment bien sûrs ça fait partie du plaisir), je m’étire, je m’agrippe je m’accroche et m’écorche jusqu’à recueillir la plus noire, la plus charnue, la plus sucrée, celle qui fera ma journée. C’est un truc de sale gosse que je ne partagerai jamais.
Ton livre est mon cerisier.
Tu fleuris mes pensées, tu m’aères, tu étires mes neurones et grandis mon âme. Le miracle est que tout con que je suis, tout clodo que je semble, tout petit que je soir, les arbres que tu me tends paraissent confortables à escalader. Et l’on grimpe sans en avoir l’air, et
on s’élève, et l’on écoute pour s’écouter enfin je te vois sourire mais non je n’ai pas dit « s’égoutter »). Alain tu es ce chef cuisinier qui offrirait un repas de gala aux manants sans jamais leur montrer qu’ils font du bruit en mastiquant.
Ton livre est mon cerisier qui dure toute l’année. Merci.
Faudrait juste en prendre de la graine…
Je t’embrasse fort.
Tom
Alain Cadéo, Contes des petits mondes d’à côté, éditions La Trace, 150 pages, 18 euros. Parution le 13/06/2025.
Écouter en intégralité Les Réveillés de l’Ombre d’Alain Cadéo
© SOPHIE CARMONA
Alain CADÉO, est l’auteur de nombreux ouvrages (nouvelles, romans, textes, pièces de théâtre), dont « Stanislas » (1983), premier prix Marcel Pagnol 1983 Macadam Epitaphe (1986), Plume d’Or Antibes et Prix Gilbert Dupé ou encore Zoé chez Mercure de France traduit en chinois.
Membre de la Société Académique des Arts – Sciences – Lettres, sa plume explore des thèmes variés, de la mélancolie à la tendresse, en passant par la philosophie et les traumatismes psychologiques. Son écriture touche le cœur et l’esprit, invitant les lecteurs à s’évader dans des mondes intérieurs riches et profonds.
[1] Entretien Alain Cadéo http://lecontrehasard.com/?p=810