CHERGUI

Cette histoire est celle d’une cité ocre et blanche, posée en plein désert comme un bijou sur du sable. Des maisons aux murs épais protégeaient les habitants. Dès les lourdes portes franchies, on se sentait avalé par l’ombre.

Dehors, le blanc du ciel écrasait les hommes. Dedans ne régnait plus que la fraîcheur des pierres, le murmure des fontaines sur le sommeil des heures brûlantes. Dehors, le vent qui desséchait les lèvres, granulant de sable le linge humide laissé au soleil. Dedans, l’air comme un fil tendu au-dessus du sol.

À la lisère des contes et des sables du désert, là où le blanc de la ville se fait page blanche, où le bleu du ciel devient l’encre de la fable, où le vent porte à l’oreille des histoires murmurées et enfouies, là, dans une envolée de sable et de poussière, dans cette onde de chaleur et de soleil, là prend naissance le récit.

Les courbes du désert se taisaient, l’or des dunes semblait attendre.

C’est par un jour de plein soleil, de chaleur et de moiteur que survint l’événement surprenant. La ville bruissait de vie qui explosait en sons, couleurs, odeurs, vibrations. La ville s’éprenait de vie, échanges, harangues et envies.

Et soudain, l’inattendu…

Un jour de plein midi, où les voix galopaient d’une fenêtre à l’autre dans les ruelles étroites, à l’abri du soleil, un jour d’anneaux miellés entassés dans les boutiques des pâtissiers, un jour de hammam et de figues fraîches croquées avec la peau sur le marché bruyant, une femme chargée de tissus achetés au souk s’écroula. Le sommeil l’avait prise comme on mord. Comme on meurt ? car on eût pu la croire morte, sans cette respiration lente, paisible, qui habitait maintenant la chambre où on l’avait couchée.

Mal mystérieux, mystère contagieux, sommeil étrange, étrangeté qui se répand…

Une jeune fille, qui sortait du hammam après une journée entière consacrée à sa peau, ses cheveux, ses ongles, son sexe devenu velouté comme celui d’une enfant, tomba comme une fleur devant le marchand de bijoux. Elle aurait dû se marier deux jours plus tard. Mais comment épouser une femme qui dort ? en dormant aussi, peut-être…

À la lisière du sommeil et des songes, les endormis laissent leurs rêves vagabonder. Parfois ils murmurent dans ce sommeil étrange qui n’est ni mort ni veille. Ils laissent leurs pensées s’échapper vers les désirs oubliés, inassouvis, inachevés.

Ces désirs qui se dévoilent, au cœur des murmures ensommeillés, voiles tendus, voilages secrets, voiles tendues, l’ancre est jetée, l’amarre larguée vers les secrets inavoués.

Au-delà de la cité, le monde des dunes glissait en paillettes mouvantes, sous une brise qui brûlait. Quelque chose allait venir.

Ou quelqu’un.

Au creux des songes fantasmés, les vœux réalisés, le vent se lève, portant avec lui la brûlante caresse.

Le vent se joue des voiles qui bercent l’endormie, des songes qui peuplent le sommeil de l’endormi, des rêves, des chimères et des habitants qui veulent se protéger de cet endormissement étrange, de ce vent chaud qui souffle du désert et charrie le sable, les espoirs et ce qui s’en vient.

L’envolée des dunes sous le vent hachait les silhouettes, masquait un bref moment les plis bleutés des vêtements, courbait les marcheurs pour contrer le souffle qui s’en moquait.

Le vent, ce qui vient, est accompagné d’un souffle de sable, d’un courant d’air.

Il vient et ressemble à un mirage qui se dessine dans la rétine brûlée de l’œil qui a trop contemplé le désert, l’or des dunes et le soleil éclatant.

Alors, il commença à tracer quelque chose dans le sable, du bout du doigt. Les gens de la ville avaient beau plisser les yeux, ils ne parvenaient pas à distinguer ce qui se formait là, aux pieds d’un inconnu assis qui semblait dessiner sur le sol mouvant. Mais il ne dessinait pas : il écrivait.

Il écrit le vent, la légende, le souffle de vie, il écrit l’endormissement, le songe, l’envie.

Nous sommes deux rois au milieu du monde, chaque épi porte un visage, chaque visage un secret.

Il écrit le sortilège et sa fin, la veille et son lendemain, il écrit le sable, la poussière d’or, le soleil éblouissant, les dunes qui ondoient, le mirage qui disparaît, la foule qui se disperse, la fable qui se dissipe.

Il écrit…

Les mots s’effacent…

De sable, de vent et d’oubli…

Ainsi passe…

Le Chergui.

Joëlle Pétillot

 

Pétillot Joëlle, Chergui, Éditions Fables Fertiles, parution le 6 novembre 2025, 112 pages, 15,20 €.

https://fablesfertiles.fr/produit/chergui/

© CHARLOTTE LEBECQ @read_to_be_wild

Auteur/autrice

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