GERTRUDE & Cie

Gertrude & Cie n’est pas seulement un clin d’œil érudit à Gertrude Stein: Claudine Londre ne s’en tient pas au roman biographique, elle fait mieux : elle imagine un double bondissant, une Gertrude remixée par le présent, et une Ida qui aurait pu être notre amie d’université.

Un roman sans point, sans majuscule.

Ici, on ne respire plus avec des virgules : on respire avec des espaces. On prend le temps de s’arrêter non pas parce qu’un point nous y oblige, mais parce que la page nous le propose. Résultat ? Une prose à la fois libre, drôle, poétique et toujours précise.

Deux femmes s’écrivent sans jamais se rencontrer.

D’un côté, Gertrude Stein, l’esprit vif, bien installée rue de Fleurus auprès d’Alice Toklas, évoluant dans son salon littéraire, un verre de cherry brandy à portée de main.

Elle parle, elle pense, elle bougonne avec panache. De l’autre, Ida, jeune Américaine fictive et contemporaine, qui écrit des lettres à sa sœur jumelle tout en traversant des morceaux d’Amérique en miettes. Des motels, des stations-service, des souvenirs flous et des interrogations tenaces : Ida est paumée, drôle, tendre, libre, et profondément vivante.

Claudine Londre connaît Stein, mais ne cherche jamais à écraser le lecteur sous la référence : elle fait revivre, au contraire, une Gertrude vibrante, aux prises avec ses doutes, ses amours, sa modernité. Quant à Ida, elle devient un miroir contemporain, une voix fragile et libre, perdue dans les villes américaines comme dans son propre récit.

Le livre se lit sourire aux lèvres car Gertrude a de la répartie. Elle dialogue avec Apollinaire, se moque gentiment de Blaise Cendrars, s’adresse à nous comme si nous étions invités à dîner — sans nappe, mais avec une pile de manuscrits et un chat sur la table.

« Apollinaire soudain toussote, Gertrude l’entend très bien

oui, Guillaume, je sais ce que vous pensez        bien,

il est possible, mais pas certain, que je me sois inspirée de ce cortège : un jour je m’attendais moi-même, je me disais Guillaume il est temps que tu viennes pour que je sache enfin celui-là que je suis           mais, à la fin, qui ne s’est pas inspiré de moi ? alors à mon tour dans quelque temps, pourquoi pas un modeste emprunt, vos vers mon cher ont révolutionné la terre mais oui, vous aussi Blaise, certainement ! »

GERTRUDE &Cie ne raconte pas simplement une histoire mais propose un mouvement. On est dans un élan, une traversée, un clin d’œil permanent au modernisme, mais sans raideur. C’est drôle, décalé, jamais prétentieux. Gertrude est vivante, en mots, en colère parfois. Ida, elle, existe dans les creux, dans les non-dits, dans les pauses invisibles que la typographie crée.

Le tout sans jamais perdre son cap : une écriture qui joue, qui s’écoute, qui respire autrement.

On sent chez Claudine Londre un goût de l’expérimentation formelle, un sens du rythme littéraire, et une affection réelle pour les figures féminines en marge. C’est à la fois un hommage, un jeu, un pas de côté.

Puis, dans la postface, une cerise dans le cherry brandy. Claudine Londre revient sur son processus d’écriture avec humour, piquant et lucidité. On y comprend mieux son projet, sans qu’il en perde son étrangeté.

Claudine Londre, GERTRUDE &Cie, Éditions à la flamme

Parution le 22 avril 2025, 144 pages, 16 €.

https://alaflamme.fr

© SOPHIE CARMONA

Auteur/autrice

2 réflexions sur “GERTRUDE & Cie”

  1. Une belle voire charmante invitation à redécouvrir ce qu’a fait et fut Lady (Gertrude) Stein pour les Arts, pas seulement les Lettres. En témoigne sa relation épique avec le fougueux Picasso et ses amitiés surréalistes.
    Le Temps splendide …. dirions -nous ?!

    1. Sophie CARMONA

      Stein était une avant-gardiste. Ses salons littéraires étaient convoités. J’avais lu « The Autobiography of Alice B. Toklas ». Alice, qui finit sa vie seule et désœuvrée.

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