L.A. ARTIFICIAL

Roman-playlist, L.A. Artificial d’Hélène Maurice est une fresque dense et rythmée. Elle nous rappelle que la lumière d’Hollywood est souvent le reflet d’un théâtre illusoire, celui d’un rêve américain en pleine dissolution.

Sous les néons aveuglants de Los Angeles, entre la beauté artificielle des palmiers et les coulisses brutales de l’industrie du divertissement, l’autrice brosse le portrait d’une jeunesse en quête de sens, d’amour et de reconnaissance.

Cette immersion musicale portée par les morceaux placés en tête de chapitre, que je vous invite à écouter au fil de votre lecture, intensifie la sensation de dualité entre l’image publique de l’héroïne et la complexité de sa réalité intérieure.

Ce roman nous plonge dans le Los Angeles des années 1990, explorant les coulisses de l’industrie hollywoodienne et les dérives de la célébrité.

HOLLYWOOD SOUS HAUTE TENSION

Hélène Maurice dépeint un Los Angeles à la fois fascinant et décadent. Les studios de Manhattan Beach, les clubs de Sunset Boulevard et les excès de la célébrité forment un décor où se mêlent glamour et désenchantement.

Au cœur du roman, Sharon, une jeune actrice de 19 ans, incarne le rôle principal d’une série télévisée à succès. Derrière son image lisse à l’écran se cache une personnalité rebelle et tourmentée. Son parcours, jalonné d’excès et de rencontres marquantes, notamment avec Keith, chanteur d’un groupe de rock alternatif, illustre une quête d’identité et de liberté.

Elle nous entraîne dans les hauteurs éblouissantes de la célébrité et la mécanique impitoyable du star system entre faux-semblants, addiction et solitude.

Leur relation passionnelle devient l’axe central du roman, autour duquel gravitent drogue, sexe, rêves et manipulations.

« Les photos sortirent dans People. Une série d’une dizaine montrant la joyeuse bande au Roxbury en pleine fête. La plus fameuse : celle où le rappeur adresse un doigt d’honneur au photographe alors que Sharon, hilare et le regard brumeux, semble très proche de lui. En arrière-plan, Kim, déchirée, s’accrochant au cou de Sean, lui-même très allumé, ses yeux rouges en témoignant. Putain, ça allait chauffer ! Toute la production fut convoquée au siège de Richman Television à Downtown, sommée d’arriver fissa, le vieux Joseph piquait une crise ! Ses secrétaires, depuis le matin même, passaient des coups de fil hystériques : “Venez vite, il vous attend !”. Adrian Show, Peter Feather, les différents scénaristes, tout le monde s’était précipité dans le bureau de Richman le cul serré et la queue basse…[1] »

Le roman offre une critique acide du soft power américain[2] et de l’industrie du divertissement, mettant en lumière les illusions véhiculées par la culture populaire. L’autrice démonte les rouages d’une industrie qui broie les rêves à la chaîne, sous une narration vive, presque cinématographique, en tissant une tragédie intime à la fois douce et brutale.

UNE AMBIANCE ROCK ET UNDERGROUND

L’univers musical des années 1990, notamment la scène grunge et alternative, imbibe le récit. La relation du personnage principal, Sharon, avec Keith, membre du groupe de rock en vogue, l’introduit dans un monde underground, contrastant avec l’univers aseptisé des studios.

« Sur une banquette, Sharon et Keith Andreou s’embrassaient sans discontinuer. Tandis que Tick et Sean Reno White discutaient musique. Lourde drague entre Kim et Marchette. Max Zweig échangeait avec Joey Peed sur son passage du monde de la télévision à celui du cinéma. La soirée était partie ! Les grammes de coke défilaient comme le nombre de bouteilles sur les tables. Soudain les premières notes de Give It Away, explosion de folie dans le bar. Andreou sautait partout, Tick mimait la basse debout sur une table, elle cassa… Marchette, plus occupé à réaliser des lignes de coke longues comme le bras, ne participait pas aux pitreries des autres, on ne peut pas tout faire. Être au Venom avec ces gens-là était important, il se passait quelque chose qui témoignerait plus tard d’une époque. Plus les heures passaient, plus les images devenaient floues… Sharon se vit danser, pogoter, libérée totalement des convenances qu’imposait son statut de starlette de télévision.

« Cette soirée tint ses promesses, celles de permettre à Sharon de pénétrer dans un monde créatif, spirituel, frondeur mais terriblement dangereux… Elle s’en rendit compte à la quantité de poudre qu’elle avait sniffée en compagnie d’Andreou qui ne semblait jamais rassasié[3]. »

Dans ce roman d’apprentissage moderne, derrière les projecteurs, la chute de Sharon est programmée et il ne faudra pas longtemps pour qu’elle se brûle les ailes. Elle navigue entre les illusions de la célébrité et la quête d’une identité authentique, illustrant les tensions entre l’image publique et la réalité personnelle. Elle lutte contre les normes imposées par la société et cherche à s’émanciper des rôles préétablis.

Hélène Maurice évite les clichés. Certes, elle embrasse l’imagerie pop de la Californie des années 1990 — motels défraîchis, voitures rutilantes, nuits interminables — mais pour mieux en révéler les failles. Sharon n’est ni une ingénue ni une victime ; elle apprend à se façonner une place, à se brûler parfois, mais toujours avec lucidité.

Le style d’Hélène Maurice se distingue par sa concision et sa tension. Il y a dans chaque phrase une énergie quasi cinématographique, comme si chaque scène était montée en plans-séquence, entre ralenti et cut. Les dialogues claquent, les images s’impriment dans la rétine : les routes désertes, les corps flous dans l’obscurité, les éclats de lumière crue sur des visages épuisés.

« Pas dormi de la nuit ou peut être somnolé au creux de l’aisselle fournie de Donita… Elle ne le savait plus très bien. Quand elle se réveilla dans le club, nue, la peau constellée de saletés incrustées dans la moquette, Donita ronflait à côté d’elle, Sharon ressentit d’abord une submersion de honte qui faillit bien l’engloutir, le crut-elle du moins. Impression d’éparpillement… analogue à l’éclatement de son être en mille morceaux. Fourmillement dans les mains ; tempes douloureuses jusque dans l’estomac, allait-elle vomir ? Était-ce le début d’une crise d’angoisse ? Comme dans un puzzle, les différents souvenirs de la veille remontèrent. Une vague de chaleur revint lui donner un haut-le-cœur, elle devait se lever. Quelle heure était-il ? Merde, elle tournait à 10 h aujourd’hui. Relever son buste du sol fut une torture. Elle s’assit précautionneusement, ramena ses jambes vers sa poitrine et coucha sa tête douloureuse sur ses genoux. En pleine descente d’ecstasy, le moral était au plus bas pour l’actrice qui ressentait ce matin des signes identiques à ceux d’une profonde dépression. Prise d’un sanglot nerveux, elle n’était plus qu’un amas de chair tremblotant au milieu de nulle part. Au bord de la crise de nerfs, un bras lui entoura les épaules[4]. » 

Plus qu’un simple roman sur Hollywood, L.A. Artificial est une réflexion sur l’artifice lui-même. Le titre, jeu de mots entre « Los Angeles » et artificial, dit tout : qu’est-ce qui est vrai dans ce monde où tout n’est que performance ? Où commence l’aliénation, où finit la liberté ? Sharon est-elle en train de s’inventer ou de se perdre ? Est-elle actrice ou spectatrice de sa propre vie ?

Dans cette Amérique dépeinte sans complaisance mais jamais sans tendresse, Hélène Maurice pose un regard sans jugement.

L.A. Artificial mêle critique sociale, quête identitaire et immersion culturelle. À travers le parcours de Sharon, Hélène Maurice soulève une réflexion sur les illusions de la célébrité, les dangers de l’aliénation médiatique et la recherche de soi dans un monde en perpétuelle mutation. Ce roman se distingue par sa thématique et sa capacité à capturer l’essence d’une époque marquée par les excès et les désillusions.

Un livre à lire, la bande-son en tête, qui n’est pas sans rappeler une série des années 90.

Hélène Maurice, L.A. Artificial, Les Presses Littéraires, 2024, 20 euros.

© EMMA CASTANIÉ

Correction : Ludivine Corbin

[1] Chapitre XV, Stay Away, Nirvana.

[2] Le soft power américain désigne la capacité des États-Unis à influencer le comportement ou les préférences d’autres pays par la séduction et l’attraction plutôt que par la contrainte ou la force.

 

[3] Chapitre XXI, Give It Away, Red Hot Chili Peppers, pages 120-121.

[4] Chapitre XL, The Morning Sad, Veruca Salt, page 249.

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