
Échec, et Mat de Galien Sarde : un récit dystopique entre poésie et quête de liberté
Après avoir lu Trafic puis Le Rouge et Laure dans cet ordre, j’ai enfin découvert le tout premier roman de Galien Sarde : Échec, et Mat.
Je l’ai abordé avec curiosité, impatiente de déceler ce qui, déjà, annonçait les livres à venir. Même plume, mêmes obsessions ? Ou au contraire, une écriture encore en mouvement, en recherche ?
Paru en 2022 aux éditions Fables fertiles, Échec, et Mat s’inscrit à la croisée du roman dystopique et de la fable poétique. Par une écriture à la fois rigoureuse et évocatrice, il tisse un récit où la quête d’évasion et de sens se heurte aux murs d’un monde sous contrôle.
Le roman suit Théo et Mat, deux jeunes protagonistes qui s’échappent de la Cité, une métropole oppressante où règnent la surveillance, la peur et la répression des rêves. Leur errance, sous le regard d’Eurydice, les conduit à travers le désert, vers un horizon mythique : l’Océan, symbole d’une liberté retrouvée, d’un ailleurs débarrassé des contraintes étouffantes de leur existence urbaine.
La jeep est lancée. Mat est fiévreux, alerte, qui fait corps avec elle, couché sur le volant. Moins vif que lui, je souffle comme je peux pour me calmer, redescendre. Mon cœur n’arrête plus de battre la chamade, sous l’effet de l’adrénaline qui pense pour moi.
La chance est avec nous : on arrive, déjà les docks disparaissent, les pavés, s’ouvre en grand une route asphaltée. Tout se fond, autour, dans un paysage désolé de terre et de poussière séchées, dans des vagues de chaleur où les tours passent comme un mirage. Nul poursuivant, toujours, nul obstacle, la route nous appartient.
Comme on mord l’asphalte calciné, rentre soudain dans la zone franche, rien ne nous arrête, difficile à croire, aucun poste, aucun mirador – on a déjà tout fait.
Dans cette trajectoire, chaque pas résonne comme un jeu d’échecs métaphorique, où chaque mouvement engage une stratégie, un risque, une tension entre le désir de liberté et les forces du contrôle. Le titre, Échec, et Mat, ne renvoie pas seulement à la fin d’une partie, mais au moment où les enjeux de la vie atteignent leur point de rupture, où les choix deviennent irréversibles.
L’écriture de Galien Sarde se distingue par une langue riche parfois fragmentée qui traduit le trouble et l’urgence intérieure des personnages. Le récit est ponctué d’images fortes et de silences lourds, qui amplifient la dimension presque mythique de cette errance entre ombre et lumière.
Le rythme évoque un mouvement visuel et cinématographique où chaque scène semble cadrée avec précision, comme si l’œil du lecteur devenait caméra.
J’ai retrouvé dans Échec, et Mat la même intensité narrative qui se déploie avec une tension visuelle et sensorielle.
Une qualité immersive qui renforce la traversée du texte.
Au-delà du simple récit d’évasion, Échec, et Mat propose une réflexion sur la société contemporaine : sur la surveillance généralisée, la négation des désirs individuels, mais aussi sur la force du rêve comme moteur de résistance. Le désert devient alors un espace de purification et de renaissance, tandis que l’Océan incarne l’espoir d’un monde autrement possible.
Galien SARDE, Échec, et Mat, Éditions Fables Fertiles, 168 pages, 17 euros
Parution avril 2022
© SOPHIE CARMONA