
J’ai découvert, comme l’on déniche de dessous un rocher, une cachette de coquillages, mille petites pierres lisses et colorées, un morceau de corne de brume, un éclat de nacre, et autres mille trésors marins, une auteur, peintre et poète, Anne Stéphane.
Alphonsine Stéphan est née le 14 mars 1915, fille d’Alphonse Stéphan et de Ana Violant, dans le village de Poulgoasec, commune de Plouhinec, aux confins de la Bretagne et de la Vendée. Anne Stéphane prendra comme prénom, pour son pseudonyme, celui de sa mère Ana, et rajoutera un « e » à son patronyme.
À l’époque, elle n’écrivait pas encore, ni ne peignait, mais en free-lance réalisait des modèles pour la couture ou le tricot. « Tout de suite, j’ai pu sortir de moi des tas de choses. Je m’étais toujours sentie poussée par je ne sais quoi. Sans doute suis-je habitée. Je sens si bien ces présences ». Sa grande créativité remonte à son enfance. Alphonsine à 3 ans est enlevée par les voisins qui demandaient à ce qu’elle leur raconte des histoires incroyables qu’elle inventait. Ses parents, ouvriers et sa famille, essentiellement composée de pêcheurs, lui donnèrent une grande instruction orale, en breton, langue interdite à l’école qu’elle ne fréquentera que de 7 à 9 ans. Tout lui vient d’ailleurs, de ses parents et de ses tantes.
C’est sur le sable mouillé qu’elle dessinera ses premières arabesques inspirées par le travail de broderie que sa mère exécutait. Des motifs au crochet cousus sur du gros papier qui donnaient un ensemble nommé joliment « Faire de l’Irlande.
Elle débute l’écriture et la peinture en illustrant des livres pour enfants, à la gouache.
Profondément influencée par l’Art pariétal et celte, en 1950, elle va peu à peu se diriger vers son style, unique. Elle reprendra les tracés de ses découpes sur le sable mouillé par la mer, et naîtront ses premières œuvres décoratives Les femmes fleurs. Une grave allergie à la térébenthine l’oblige à cesser de peindre à l’huile.
C’est l’encre de Chine qui l’amènera aux forêts, des rêves de branches sur papier, après ses marches dans la forêt de Paimpont. Sa promenade l’a gorgée de la magie des taillis, du secret des pierres.
C’est par Pierre Oster, décédé en 2020, poète de talent et éditeur, et par Gaspard Olgiati, disparu en 2012, fondateur de la maison d’édition Babel, que cette auteur autodidacte, Anne Stéphane, apparaît dans le paysage artistique. Elle illustrera le long poème de Pierre Oster Soussouev, Rochers, poème mouvant.
Inconnue de qui Anne Stéphane ? Peut-être de beaucoup, en tout cas connue des passionné(e)s d’imaginaire, adeptes de magie, allumé(e)s de l’irréel.
Je suis à chaque lecture de ses textes, à chaque plongeon dans ses dessins, hébétée par tant de fraîcheur fertile.
Une brodeuse de mots, de symboles, de métaphores. Une faiseuse d’empreintes sur papier bristol qui cite son âme à l’encre de Chine et à l’aquarelle, aux mille tracés de plumes, multitudes de sillons, magnétiques griffes de soie, des cheminements d’enchantements. Une conteuse bretonne entourée de farfadets et de fées.
Les mouvements doucets de ses mots bercent la mer. La végétation d’encre palpite, les fouillis d’herbes sécrètent l’appréhension sans l’inquiétude, emportent vers d’autres lieux, une chouette peut-être, un diable, une chauve-souris… Pour ne jamais être détournée de son chemin, elle n’écoute ni la radio, ni ne regarde la télévision bretonne. « Je sais que cela me blesserait, ces violences, ces conflits, toutes ces tortures », dit-elle. Il n’y a que Gaston Bachelard, Saint-John Perse, ou Herman Hesse, Van Gogh et Miro qui lui font entendre ses voies familières.
Quand elle vivait encore au nord de Nantes, sa fenêtre donnait sur la forêt de Brocéliande. À présent, de son appartement de Rezé, elle voit la mer.
Entre 1934 et 1945, elle mettra quatre enfants au monde, deux filles et deux garçons.
Entre 1950 et 1953, une fille et deux garçons viendront rejoindre les aînés.
Les enfants sont aussi ses lecteurs. Elle a dû les faire rire avec ses cabrioles de mots, de métaphores, des histoires bâties comme des cahutes de forêt, entrelacées d’imprévus.
Ses expositions se sont multipliées dans le temps comme mille feuilles envolées, exposant les petits recueils de dessins et de poèmes. Inspirée par le noir et blanc du costume breton, ces gravures à l’encre de Chine appartiennent désormais au fonds de la Bibliothèque des Champs Libres.
Elle reçoit en 1967, le prix du poème en prose, lors des Jeux floraux de Bretagne.
Pierre Oster décrit ainsi l’œuvre d’Anne Stéphane : « Ce que nous montre l’artiste, ce sont les traces qu’elle porte en elle qu’on ne décrit pas, mais nous fait sentir : des idées de taillis bordant les chemins creux et protégeant du vent des cultures, les encoignures profondes des pierres et cailloux qui nous parlent la langue sonnante et secrète des Celtes ».
Anne Stéphane entretient avec le monde celte des relations transcendantes.
Elle dit ceci : « Je suis née presque sur la grève, aussi la mer est omniprésente dans mon inspiration. La mer comme la nature. Mon œil embrasse tout ; il s’arrête beaucoup sur les choses. Je capte des sentiments, dans les fleurs, les rochers, les herbes. Je crois énormément à la magie, aux sortilèges. Je plonge très loin dans d’autres temps, dans d’autres mondes. ».
En 1973, elle obtient le Prix international d’Art abstrait au Salon d’Aquitaine.
De 1973 à 1980, elle s’activera à créer ses sortilèges. « Ils sont aux aguets dans les encres », écrit-elle.
Son premier recueil de poèmes, intitulé Approche-toi encore, paraît en 1982, sous le label de la Librairie bleue, où déjà depuis 1975 elle publie dans les Cahiers bleus.
Chaque jour, elle s’autorise en solitaire, toujours, une promenade dans les taillis des forêts pour déclamer leurs louanges. La solitude est sa grande amie inspirée. Très tôt le matin, vers 4 heures, la journée commence par l’écriture, « pour ne pas gêner les voisins, je sais que la peinture, ça fait toujours un peu de bruit. ».
Ce sont sept cents grandes encres, des milliers de petites en sept ans de travail complet. Une œuvre abondante, jamais présentée à quelques éditeurs que ce soit.
Anne Stéphane habitait le monde poétiquement.
Elle quittera la Terre le 3 décembre 1994.
Septembre 2025
© Clo Hamelin
Avec quelle plume magnifique tu nous habites de cette artiste ! On la ressent si bien ! Ses encres s’agitent en nous comme des sentiers à suivre et sa vie est comme une étincelle d’intelligence. En tant qu’artiste, on a envie de lui ressembler. Je trouve qu’il y a tant d’elle en toi, ce n’est pas pour rien que tu nous la dévoiles. Merci pour cette pépite !
Merci mon amie Hélène,
Quel beau message. Il est assez rare d’en recevoir de tels…
Je t’embrasse tendrement
Ton amie Clo