TENTATIVES DE FLOTTEMENT

Sur la couverture de Tentatives de flottement, un Polaroïd à l’encre de Chine signé Régis Nivelle.

Une fenêtre ouverte sur un ciel rosé, traversé de lumière, dont les contours semblent hésiter entre effacement et révélation. L’image, cadrée de noir, joue sur la transparence et l’indétermination. On ne sait plus si l’on regarde dehors ou dedans, si l’on contemple un lever ou une disparition. Ce choix visuel, loin d’être anecdotique, condense la poétique du livre : un espace de bascule où tout vacille légèrement, où le réel, comme le ciel, se tient au bord de sa métamorphose.

Ce ciel inversé, à peine révélé, déroute la perception du haut et du bas. Ce geste visuel révèle un monde renversé mais non perdu.

Le mot “tentatives” dit déjà le geste : écrire sans vouloir conclure. Flotter, c’est s’abandonner à une gravité douce, tenir entre la chute et l’élévation, dans une attention fragile au passage du monde.

Et tu rentres dans ton livre,

l’odeur des secrets que tu avais oubliée,

des mots qui ne s’adressent qu’à toi,

le papier qui effleure ta peau,

tout se révèle,

s’amplifie,

les objets,

les âmes,

les gestes,

les voix,

tout.

Tu cherches les passerelles entre les pages

et les mondes qui t’entourent,

entre toi et les autres.

 

Olivier Souillard écrit depuis cette zone d’incertitude. Dans Tentatives de flottement, le temps ne s’écoule plus selon une chronologie mais se déploie comme une matière instable. L’auteur ne cherche pas la progression mais la résonance. Ses poèmes ne fixent pas l’instant : ils le laissent advenir, se défaire, revenir sous d’autres formes. Le poème devient alors un instrument de mesure du temps.

La surprise du retour

des vieux amis

 

Le présent est dans le passé

 

Tout s’entremêle dans la fuite du temps

 

Restent les regards

« Le présent est dans le passé », lit-on. Cette formule résume la dynamique du recueil : chaque fragment accueille la trace de ce qui a été, tout en ouvrant la possibilité d’un recommencement. La temporalité s’y plie et se déplie et confère à l’ensemble une tension subtile : écrire devient une manière de suspendre la chute.

Du poids à la légèreté, la progression du recueil  épouse un mouvement de désancrage, parce que se délester aide à mieux percevoir. Le temps n’est plus une donnée, mais une expérience du détachement.

Le rythme d’Olivier Souillard suit cette logique d’épurement. Ses vers, souvent brefs, s’interrompent comme à bout de souffle, puis reprennent. Ce balancement crée une prose respirée, un battement de silence et de reprise. L’écriture devient une manière d’habiter le temps au lieu de le maitriser et fait de l’instabilité un principe de justesse. Elle accepte la dérive, la lenteur, l’entre-deux, ce que Barthes appelait « le neutre ». Cette poétique de l’équilibre incertain revendique le droit à l’instabilité dans un univers saturé de vitesse et de certitudes.

Même le choix du papier vergé, signature matérielle des Éditions Tarmac, participe de cette poétique du passage. On y sent la matérialité douce du temps, ce grain discret qui, sous les doigts, prolonge la lenteur du texte et l’exigence tactile d’une maison attentive aux formes du sensible.

La quatrième de couverture évoque « la quête d’un second souffle pour alléger les souffrances et élever le goût du partage ». Ce souffle, c’est celui du temps libéré de sa contrainte.

Elle portait le poids du monde

 

Comment désirer le flottement

Je n’avais aucune chance de l’embarquer

face à son errance

couleur plomb

un jour

le bleu du ciel

envahira ses chaines

Son corps s’élèvera

la légèreté triomphera

Olivier Souillard, Tentatives de flottement, Éditions Tarmac, parution le 1 septembre 2025, 74 pages, 15 €.

https://www.tarmaceditions.com

©SOPHIE CARMONA       Octobre 2025

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