REQUIEM AU BORD DU JOUR

Ce livre a une histoire et c’est peut-être déjà ce qui le distingue.

Requiem au bord du jour n’est pas seulement un roman publié, c’est un texte retrouvé, repris, transmis. Vincent Petitdemange n’aura pas vu son œuvre paraître : le manuscrit a été découvert après sa disparition puis confié aux Éditions des Instants, qui ont choisi de le faire exister avec le respect d’un travail achevé.

Dans Requiem au bord du jour, Vincent Petitdemange suit la trajectoire vacillante d’un homme qui vit au bord du monde — au bord du jour, précisément. Ni tout à fait ancré ni totalement perdu, il avance à travers les marges, les interstices d’une société dont il ne partage ni le rythme ni les illusions. Cet homme n’a rien d’un héros. Il traîne sa carcasse dans des villes comme on traverse la vie sans boussole. Il n’a pas de plan, pas de mission, juste un regard un peu amusé sur le chaos du monde et une aptitude rare à se retrouver au mauvais endroit au bon moment.

Les lieux se succèdent comme des escales imaginaires ou rêvées, fragments d’un itinéraire d’errance où se mêlent fatigue et lucidité, solitude et tendresse.

Le narrateur observe les êtres qu’il croise : des silhouettes un peu bancales, des figures de passage, des enfants, des malades, des animaux, tous porteurs d’une fragilité que le monde moderne préfère ignorer. Ces présences minuscules deviennent, sous sa plume, les véritables héros d’une humanité discrète. Ce sont des vies sans gloire, des gestes infimes, mais dont émane une forme de dignité nue.

Le récit se déploie par touches, par éclats, comme une succession de scènes, de souvenirs, de pensées fugitives. Le ton oscille entre l’ironie légère et la compassion lucide et l’écriture, souple et mobile, fait entendre plusieurs registres de langue, parfois populaires, parfois poétiques, toujours attentifs à la justesse du mot.

L’homme tente de trouver sa place dans un monde qui va trop vite. Son exil n’est pas seulement géographique : il est intérieur. Il apprend à regarder autrement, à vivre en marge pour mieux comprendre le centre, à recueillir les traces d’une humanité fragile que la lumière du jour efface trop vite.

Voilà ce qu’on allait devenir. Mais c’était ce qu’on deviendrait dans dix ou vingt ans qui nous intéressait et dans quel monde allions-nous vivre, respirer.

Nous partions de loin pour trancher cette épineuse question. On ne l’abordait qu’à l’aune de l’Histoire, disséquant l’époque dans laquelle nous nous trouvions pour mieux en extraire de raisonnables compromis.

Pour comprendre le monde, disait Alban, c’est simple, avant il y avait les dieux, puis il y a eu Dieu, et maintenant, eh ben, il n’y a plus grand-chose, sinon l’orgueil de l’homme qui prétend expliquer l’univers en trois coups de crayon.

Rien n’est grave, ou plutôt tout l’est, mais l’humour vient sauver ce qui reste d’humanité. Même dans la galère, le narrateur garde un œil ironique sur la vie, sur les autres, sur lui-même. Sa voix circule entre la dérision et la poésie, entre la débrouille et la tendresse. À chaque étape, il note les absurdités du monde avec une lucidité tranquille, comme s’il observait la société depuis son trottoir, légèrement de biais.

Vincent Petitdemange y déploie une écriture vive, drôle et pleine de compassion, attentive aux invisibles et aux paumés.

Au matin du cinquième jour, Dieu fit sa première bévue.

Ce fut aussi sa dernière. Il commit les premiers êtres vivants et alors, le doigt dans l’engrenage, il n’allait plus s’arrêter jusqu’à l’homme, son ultime créature. Il s’en est bien repenti en noyant la terre, est-il dit, par le déluge, preuve qu’il s’était bien trompé et qu’il valait mieux faire table rase, comme une bêtise à cacher sous le tapis.

Mais ce qui fut fait ne pouvait être défait. Le Verbe ne peut se dédire. Dès lors étions-nous embringués, lui et nous, nous et lui, dans une histoire qui languit toujours de son épilogue.

 

Vincent Petitdemange Requiem au bord du jour, 272 pages, 21 €

Parution LE 7 octobre 2025

https://editionsdesinstants.fr

© SOPHIE CARMONA

Auteur/autrice

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